Stratification des goûts musicaux

La musique, divisée en plusieurs centaines de genres, plusieurs styles, se retrouve sujette aux stéréotypes ; certains goûts musicaux sont directement associés à des groupes sociaux particuliers. À tort ? La sociologie étudie justement la question et tend, en effet, à prouver que la stratification des préférences musicales seraient liés aux catégories sociales. Nous nous intéressons donc maintenant au lien unissant les goûts musicaux des individus à leur classe sociale. Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une classe sociale ? Plusieurs chercheurs se sont penchés sur le sujet tels que Karl Marx et Max Weber. Néanmoins, c'est Pierre Bourdieu, sociologue français, qui a certainement le plus contribué au renouvellement de l'approche sociologique du phénomène des classes. 

En effet, dans sa théorie, il se distingue de l'approche marxiste, qui consiste à construire des classes, en considérant qu'en fait, les classes sociales n'existent pas. Il explique notamment que « ce qui existe, c'est un espace social, un espace de différences »[1]. Il imagine cet espace comme suit : 

Ainsi, Bourdieu distingue des classes théoriques définies par la position occupée par les individus dans cet espace social ; cette position est déterminée, entre-autre, par le capital culturel et économique détenu. Le capital culturel correspondant aux ressources culturelles, représentées par les diplômes, le capital économique, quant à lui, comprenant les revenus ainsi que le patrimoine. Alors, cette position occupée s'en retrouve, en fait, faire partie d'une des huit catégories socioprofessionnelles. Ces catégories se basent sur plusieurs critères, tels que le statut d'activité (actif/non-actif), le statut professionnel (salariés/non-salariés), le niveau de qualification (capital culturel) et le secteur d'activité (primaire/secondaire/tertiaire). 

Il s'agira, avec la vision de Pierre Bourdieu, d'étudier la question des préférences musicales de ces différentes catégories socioprofessionnelles. En réalité, ces préférences se basent sur deux concepts fondamentaux de la formation des goûts de la sociologie de Bourdieu : l'habitus et le principe de distinction.  

HABITUS ET PRINCIPE DE DISTINCTION

Tout d'abord, le concept d'habitus se rapporte en fait à l'identité d'un individu. En effet, l'habitus regroupe toutes les caractéristiques de comportements de celui-ci. Ces comportements découlent tout d'abord de la sphère primaire d'apprentissage, durant l'enfance, structurée par la famille ou l'école, puis de la sphère secondaire, à l'âge adulte. Ces comportements sont donc similaires pour tous les individus évoluant dans le même milieu. Similaires puisque l'on parle plutôt d'une tendance à se comporter de la même manière. En effet, l'habitus se compose notamment des expériences et des évènements vécus sur lesquels un individu se basera pour réagir à une nouvelle situation. C'est ce que l'on appelle une structure structurée prédisposée à fonctionner comme structure structurante. C'est-à-dire que de l'habitus découle l'habitus ; celui-ci n'est plus une conséquence, mais une cause. Bourdieu pense d'ailleurs que l'habitus reste le même durant toute la vie d'un individu. L'exemple de Don Quichotte[2] dont l'habitus se rapporte à celui d'un chevalier, illustre justement la pensée du sociologue. L'Hidalgo Don Quichotte a le mode de pensée d'un chevalier, son comportement, son attitude et son langage dans une époque où la chevalerie n'existe plus. Inadapté, il finit par s'attaquer aux moulins à vent[3], suivant son habitus.

Le principe de distinction, quant à lui, correspond au « goût du dégoût du goût des autres », c'est-à-dire le goût du jugement des valeurs et des préférences des autres catégories sociales. En effet, dans La Distinction[4], Pierre Bourdieu explique que « l'identité sociale du sujet de goût tient au moins autant à l'adhésion positive aux préférences de son milieu, pour laquelle il est en quelque sorte programmé par ses dispositions, qu'au dégoût exprimé pour les préférences attribuées aux autres groupes sociaux ». En fait, d'une part, l'habitus d'un certain groupe social, une certaine catégorie sociale, engendre certaines préférences qui sont donc partagées par ce même groupe social, et de l'autre, celui-ci, par distinction, n'aura pas les mêmes préférences qu'un autre groupe.

Ainsi, les préférences musicales des différentes catégories socioprofessionnelles s'expliquent par les habitudes de chacun des groupes, ainsi que par la distinction des groupes. Les individus sont donc influencés par leurs milieux sociaux et leur vision des autres milieux. 


[1] Raisons Pratiques sur la théorie de l'action, Pierre Bourdieu, 1994, p. 28. 
[2] L'Ingénieux Hidlago Don Quichotte de la Manche, Miguel de Cervantes, 1605.
[3] Chapitre VIII : Les moulins à vent
[4] La Distinction : Critique sociale du jugement, Pierre Bourdieu, 1979. 

2018-2019 La musique au sein de la société d'aujourd'hui | Tous droits réservés.
Optimisé par Webnode
Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer